Au cinéma cette semaine : Valeur Sentimentale.
Comment connecter avec les autres sans passer par les mots ?
« On ne parle pas le même langage. » Cette phrase, combien de managers l’ont-ils prononcée en sortant d’une réunion frustrante ? Le coût de ces incompréhensions ? Turnover accru, démotivation des équipes, conflits larvés qui minent la performance collective.
Les enjeux contemporains amplifient ce phénomène : le télétravail accentue les distances relationnelles, les équipes multigénérationnelles mêlent Baby-boomers et Gen Z, la diversité culturelle enrichit mais complexifie les interactions. Dans cette accélération permanente, nous manquons de temps pour vraiment « décoder » l’autre, pour comprendre ses codes, ses motivations profondes, l’onde sur laquelle échanger des signes.
C’est là qu’intervient le Ciné-coaching, cette approche que j’ai développée à partir d’un comportement anthropologique fondamental : depuis l’aube de l’humanité, nous apprenons par les récits. Un film active probablement nos neurones miroirs et notre intelligence émotionnelle, nous permettant d’expérimenter des situations sans les vivre. Cette méthode, inspirée des travaux de Jérôme Bruner sur la pensée narrative et des recherches en neurosciences cognitives, transforme le visionnage en laboratoire de développement personnel.
👉 Pour approfondir cette approche, découvrez mes articles de méthodologie :
- Qu’est-ce que le Ciné-coaching ? – Les bases scientifiques et méthodologiques
- Comment choisir un film qui serve votre développement personnel ? – Critères de sélection et typologie des récits
- Comment faire d’un film un outil de développement personnel ? – Méthodes pratiques d’analyse et d’application
Cette semaine, je vous propose d’explorer Valeur sentimentale de Joachim Trier, une lueur d’espoir pour toutes les relations où le non-dit et la distance règnent. Et aussi un manuel pour dénouer les relations mal engagées et créer des ponts authentiques avec ceux qui nous semblent inaccessibles.
Valeurs sentimentales : quand les sentiments ne savent pas se dire avec des mots
Synopsis et contexte
Gustav Åhr, 75 ans, réalisateur norvégien en fin de carrière, n’a jamais su créer de lien avec Nora, sa fille de 30 ans. Comédienne à succès mais à la peine émotionnellement, Nora présente une façade de force publique qui masque une fragilité psychologique profonde. Elle peine à construire une famille et semble dériver malgré sa réussite professionnelle.
Le contraste est saisissant avec Agnès, l’autre fille, qui a joué enfant dans le chef d’oeuvre de son père et mène une vie professionnelle plus banale mais s’épanouit dans un équilibre psychologique et familial harmonieux. Gustav découvre, sans que l’on sache ni comment, ni si c’est l’élément déclencheur, la tentative de suicide de Nora. Il refait surface après des années.
Sa réponse est à son image : il ne peut pas dire les mots, il ne peut pas dire à sa fille qu’il l’aime, qu’il suit sa carrière, qu’il accorde de l’attention à ce qu’elle fait. Alors il écrit un film pour sa fille qui raconte l’histoire de Nora, ce qu’elle est, et lui propose d’incarner le rôle principal. Le projet de film est sa tentative de construire un pont vers elle.
Le rôle des médiateurs
L’une des leçons les plus puissantes du film réside dans ses personnages connecteurs. Rachel Kemp, actrice établie, comprend immédiatement que le rôle qu’elle compte incarné ne lui était pas destiné mais qu’il avait en réalité été écrit pour Nora. Sans un mot, elle décline gracieusement, permettant à Gustav de tendre à nouveau la main à sa fille. C’est l’incarnation parfaite de l’alliée qui comprend qu’elle n’a pas sa place dans une relation qui deviendrait un triangle de Karpman et s’efface pour qu’une relation plus saine puisse se mettre en place.
Agnès joue un rôle similaire mais différent. Quand elle lit le scénario, elle comprend le message caché de son père et va le porter à sa sœur.
Applications managériales concrètes :
Identifiez les connecteurs naturels dans vos équipes – ces collaborateurs qui comprennent intuitivement les différents langages de vos collègues et savent faire le lien entre tous. Formez des binômes intergénérationnels où ces traducteurs peuvent faciliter les échanges.
La Communication Non Violente de Marshall Rosenberg offre un cadre structurant :
- Observer sans juger : Rachel voit la situation sans critiquer Gustav
- Exprimer les sentiments : Agnès traduit l’inquiétude paternelle
- Identifier les besoins : le besoin de reconnaissance mutuelle père-fille
- Formuler des demandes claires : jouer dans ce film ensemble
Créer des ponts authentiques
Gustav nous enseigne une leçon managériale fondamentale : il existe mille façons de dire « je t’aime » ou « tu comptes pour moi ». La théorie des 5 langages de l’amour de Gary Chapman, ouvre une réflexion plus profonde adaptable au management. Chaque collaborateur a sa sensibilité et ses préférences : certains ont besoin de mots d’affirmation, d’autres d’actes de service, de temps de qualité, de cadeaux symboliques ou de contact physique (adapté au contexte professionnel). Certains apprécieront de communiquer autour d’une bière, d’autres gagneront en loyauté s’ils reçoivent des présents modiques relatifs à une passion…
Le modèle DISC nous rappelle également que nous devons adapter notre style de communication et donne des clés aux managers : un profil Dominant préférera la directivité, un Influent l’enthousiasme, un Stable la sécurité, un Consciencieux la précision.
La métaphore du pont, développée :
- Aller vers l’autre : Apprendre ses codes, comme Gustav qui utilise les mots pour l’écriture cinématographique
- L’amener vers soi : Ouvrir son univers, comme ce plateau de tournage où ils vont enfin se retrouver
- Se retrouver au milieu : Co-créer un nouveau langage, celui de ce film qu’ils construisent ensemble
Exercices pratiques après visionnage
3 questions approfondies pour votre développement
- Cherchez-vous vraiment à comprendre ? Exercice d’écoute active : cette semaine, lors d’un échange difficile, posez 1 question ouverte avant de donner votre point de vue. Observez comment la dynamique change.
- Vous mettez-vous à sa place ? Visualisez-vous assis à la place de votre interlocuteur. Que ressentiriez-vous ? Quels seraient vos besoins ? Vos peurs ?
- Êtes-vous flexible sur le canal de communication ? Mapping des préférences : listez 5 collaborateurs et identifiez leur canal préféré (email, oral, visuel, kinesthésique). Adaptez votre prochaine interaction en conséquence.
Conclusion
Valeurs sentimentale nous offre une leçon managériale : la sincérité prime toujours sur la technique. Gustav ne maîtrise pas les codes de communication moderne, c’est un homme de sa génération qui peine à accepter d’être vulnérable. Mais son authenticité et sa créativité lui permettent de tendre la main à sa fille. En tant que leader, votre défi n’est pas d’être parfait dans tous les styles de communication, mais d’être authentique dans votre désir de créer du lien.
Les bénéfices d’un leadership authentique qui sait traverser les ponts culturels, générationnels et expérientiels sont immenses : équipes plus soudées, créativité renforcée, rétention des talents, performance collective accrue.
Votre défi cette semaine : Allez voir Valeur sentimentale au cinéma, puis choisissez une relation professionnelle que vous aimeriez améliorer. Posez-vous la question de Gustav : comment puis-je dire à cette personne qu’elle compte, avec mes codes et en respectant les siens ?